Lauréat des Prix des collectivités durables 2022 de la FCM dans la catégorie de gestion des actifs naturel

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3 500

œufs de tortue sauvés

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Sommaire

Les routes et les véhicules en circulation constituent une source importante de blessures et de mortalité pour la faune sauvage; les experts en écologie routière cherchent des moyens d'améliorer cette situation, notamment pour les espèces en péril. Dans une collectivité de l’Ontario, un projet de construction routière a été l'occasion de tenter une nouvelle approche en vue de réduire l’impact sur les tortues et les serpents. Un groupe de partenaires a uni ses forces pour sauver des reptiles au bord de la route et étudier l'efficacité de diverses méthodes d'atténuation. Le résultat? Plus de 3 500 œufs de tortue sauvés, à un coût inférieur à celui des clôtures traditionnelles.

Contexte

Le canton d’Archipelago englobe plusieurs milliers d'îles au centre de l'Ontario, le long de la côte est de la baie Georgienne (lac Huron), ainsi qu'un certain nombre de lacs intérieurs. Il compte une population totale de 13 332 résidents, dont 979 y vivent à l'année, et fait partie du territoire traditionnel de la Première Nation Shawanaga.

Le canton fait partie de la réserve de la biosphère de la baie Georgienne (Mnidoo Gamii), désignée par l'UNESCO en 2004 comme un modèle de développement durable situé sur le territoire traditionnel des peuples Anishinabek.  Le canton lui-même considère que la gestion durable des actifs et la préservation de l'environnement naturel comptent parmi ses principes fondamentaux. En 2019, la région est devenue un lieu prioritaire désigné par les collectivités pour les espèces en péril, ce qui signifie que le canton reçoit des fonds d’Environnement et Changement climatique Canada pour soutenir les efforts de la collectivité visant à protéger les espèces en voie de disparition.

La fragmentation de l'habitat due aux routes est reconnue dans le monde entier comme une grave menace pour la faune sauvage. L’« écologie routière » est un champ d’étude qui vise à mieux comprendre ce problème et les meilleurs moyens de l'atténuer, notamment la manière dont les routes sont construites et entretenues. Les tortues sont particulièrement vulnérables aux dommages causés par les routes et ce, pour un certain nombre de raisons :

  • La plupart des espèces prennent jusqu’à 20 ans pour atteindre la maturité reproductive.
  • Il faut environ 1 200 à 1 400 œufs, soit une soixantaine d'années, pour qu'une seule tortue se renouvelle dans la nature.
  • Les tortues et autres reptiles ont besoin de la connectivité des habitats pour s'alimenter, s'accoupler, nicher et hiverner; les routes constituent un obstacle de taille au déplacement en toute sécurité de ces animaux entre les zones d'habitat.
  • Il n'est pas rare que des tortues soient tuées par des véhicules avant d'atteindre l’âge de la reproduction.
  • Les données indiquent que de nombreuses espèces de tortues sont en déclin spécifiquement à cause de la mortalité routière.

La manière habituelle d'atténuer les dommages causés à la faune pendant les travaux routiers est d'installer des clôtures d'exclusion. Bien que cette mesure puisse être efficace, elle n'est en place que pendant les travaux de construction proprement dits et peut en fait créer des problèmes supplémentaires si la structure de la clôture est endommagée. Ce type d’installation peut également être coûteux dans des environnements riches en roche-mère, comme ceux que l'on retrouve dans la région d'Archipelago.

Le défi

En 2020, un projet routier a donné l’occasion de recourir aux pratiques exemplaires de l’écologie routière et de vérifier leur efficacité.

La route communautaire de Skerryvore relie la collectivité de Skerryvore à l'autoroute 69 et permet aux résidents de la Première nation Shawanaga d'accéder à une zone humide et à des frayères importantes sur le plan écologique. Il fallait refaire le revêtement d’un tronçon de 12 kilomètres de cette route, avec le remplacement des ponceaux.

Les parties prenantes en sont venues à la conclusion qu'il s'agissait d'une bonne occasion d'étudier l'utilisation, par les reptiles, de la route et de la zone environnante, tout en étudiant les moyens de réduire les dommages causés aux tortues et aux serpents pendant et après la construction.

L’approche

Afin de répondre aux exigences de ce projet, et en se fondant sur les enseignements tirés d'autres projets de surveillance des routes et d'écloserie de tortues par des groupes tels que la Première nation Magnetawan, un partenariat d'organisations locales s'est formé. Ce partenariat regroupait le canton, la Première nation Shawanaga, la réserve de la biosphère de la baie Georgienne (GBB), l'Université Laurentienne, Tatham Engineering et les entreprises de construction locales Hall Construction et Fowler Construction.

Étalé sur deux ans, ce projet a permis au canton, à la Première Nation et à GBB d’étudier amplement l'efficacité de diverses mesures d'atténuation. En 2020, les équipes ont remis en état des ponceaux et mis en place des enrochements, un ensemble de pierres détachées, en bordure des zones humides. En 2021, elles ont refait le revêtement de la route.

Tous les partenaires ont collaboré en vue d’assurer la sécurité des reptiles et de leurs oeufs. Par exemple :

  • Le personnel et les ouvriers du bâtiment ont reçu des renseignements sur les espèces de reptiles locales et une formation sur la reconnaissance, la manipulation et le déplacement des tortues et des serpents dans des zones de construction. Ils ont également participé à des événements de libération des éclosions.
  • Le personnel de la réserve de GBB et de la Première Nation était présent et sur appel pendant la construction pour aider les reptiles et déplacer les nids de serpents et de tortues trouvés sur le bord des routes vers les bureaux de GBB aux fins d’incubation.
  • En collaboration avec la Première Nation Shawanaga, l'équipe a intégré les connaissances traditionnelles autochtones dans le déroulement du projet, par exemple en utilisant une signalisation bilingue et en incluant une offrande de tabac lors des relevés routiers quotidiens.
  • Les travaux comprenaient la mise en place d'un enrochement et le revêtement des accotements de la route. Ces deux méthodes font l'objet de recherches par GBB et l'Université Laurentienne comme moyen de dissuader les tortues de nicher sur le bord des routes.

La partie étude du projet comportait deux types d'enquêtes : la mortalité routière et la nidification. Ces données ont aidé les chercheurs à comprendre où et quand les reptiles utilisaient la route et dans quel but, par exemple, pour se prélasser, nicher ou la traverser. Elles sont utiles pour guider et évaluer les mesures d'atténuation à la fois dans le canton et ailleurs.

L’équipe a également veillé à faire participer la collectivité au projet, par l’entremise de l'éducation et d'événements. En 2021, par exemple, les bureaux de la réserve ont organisé des visites d'écloseries de tortues ouvertes au public.

Les résultats

L’une des principales conclusions de ce projet est que la nouvelle approche des obstacles est à la fois plus respectueuse de l'environnement et plus rentable que ce qui est généralement utilisé.

En associant les ouvriers du bâtiment aux efforts de conservation et en les formant aux soins des reptiles trouvés sur le site, ces partenaires ont acquis un sentiment d'appartenance et de responsabilité, ainsi que de nouvelles compétences qu'ils pourront mettre à profit dans le cadre d’autres projets.

Les retombées

Le projet a apporté un certain nombre d'avantages à la collectivité et à l'environnement local :

  • En évitant d’installer des clôtures d'exclusion, l’équipe a éliminé un certain nombre d'effets néfastes. Il y a eu moins de perturbation de l'habitat, aucun risque de laisser du plastique ou du métal sur place, et moins d'émissions de GES provenant des équipements et des véhicules.
  • En 2021, a fait l’économie de 297 kg de gaz à effet de serre par l’utilisation de vélos électriques en remplacement des véhicules à essence
  • Les efforts déployés afin de mobiliser la communauté locale ont permis aux résidents de participer au projet, à tel point qu'ils ont même apporté du café à l'équipe de construction. La population locale est désormais plus consciente de la valeur culturelle et écologique des serpents et des tortues.
  • Les connaissances acquises ont permis d'orienter les mesures de conservation et d’accomplir d'autres études visant à évaluer la reproductibilité. Les enseignements tirés seront appliqués aux meilleures pratiques pour les services de travaux publics.
  • La protection des espèces et des habitats constitue un moyen déterminant d’accroître la résilience climatique. Au cours des deux années du projet, plus de 3 300 tortues ont été relâchées dans les zones humides situées le long de la route de Skerryvore.
  • Le projet a été l'occasion pour le canton, la réserve de la biosphère de la baie géorgienne, l'Université Laurentienne et la Première Nation Shawanaga de collaborer et d'apprendre à connaître les capacités et les besoins de chacun.

Les enseignements tirés

L’une des principales réussites a été la coopération entre de nombreuses organisations liées à la région. En particulier, c'était une excellente occasion pour GBB et le canton d’Archipelago de s'associer à la Première Nation Shawanaga en vue de mener un projet important pour toutes les parties concernées.

Cette collaboration a bien fonctionné en grande partie parce que les partenaires avaient entretenu leurs relations pendant des années, développant ainsi la confiance et la réciprocité. À l’intention des autres municipalités qui souhaiteraient s'engager dans des partenariats semblables, Steven Kell, biologiste expert en espèces en péril et coordonnateur de projet au sein de la Première Nation Shawanaga, aimerait donner les conseils suivants :

  • Prenez contact avec les Premières nations et les autres groupes autochtones de votre région, et renseignez-vous sur leurs capacités et leurs méthodes préférées de communication et de collaboration. N’oubliez pas que toutes les communautés ne disposent pas de spécialistes dans leur personnel; il est donc utile d'employer un langage clair.
  • Transmettez toutes les étapes d'un projet aux communautés autochtones locales afin qu'elles puissent adapter leur participation en fonction de leurs capacités. Certaines parties d'un projet peuvent être plus applicables, ou mieux correspondre à leur réalité.
  • Découvrez comment les communautés utilisent et ont utilisé les terres en question, et à quels usages elles aimeraient les destiner à l’avenir. Par exemple, certains membres de la Première nation Shawanaga accèdent à leurs terres à pied ou en VTT; une clôture à reptiles pourrait constituer un obstacle. Les plans de construction devraient donc prévoir des options permettant de le franchir.

Kell souligne également certains enseignements tirés sur un plan plus général :

  • Il est bénéfique de mobiliser plusieurs partenaires dès le départ, y compris en ce qui concerne l'équipe de construction. Si, au départ, ils pouvaient être réticents à l'idée de travailler en appliquant de nouvelles méthodes, ils finiront par reconnaître la valeur de la surveillance précoce de l'environnement, en constatant combien cela facilite les choses par la suite.
  • Il importe de disposer de bonnes données lorsque l'on tente d'appliquer des techniques d'atténuation, et il peut s'avérer utile, en fin de compte, de retarder un projet en vue de recueillir les renseignements nécessaires.
  • Pensez à l'avenir – et soyez honnête quant aux capacités d'entretien à long terme – lorsque vous décidez des meilleures stratégies de protection de la faune. Une technique moins efficace qui nécessite moins d’entretien peut être meilleure à long terme qu'une technique plus efficace qui échoue rapidement.
  • La présence sur le terrain et le fait de communiquer avec les parties prenantes constituent une bonne mesure de sensibilisation et les incitent à être plus prudents.

Les prochaines étapes

L’étude visant à évaluer dans quelle mesure les enrochements et les accotements pavés dissuadent les tortues de nicher au bord des routes se poursuivra pendant de nombreuses années. Lorsqu'elle sera terminée, les résultats seront partagés afin que d'autres municipalités, et d'autres espèces en péril, puissent en bénéficier.

Citation :

« La participation de l'équipe de construction au volet pratique des travaux en biologie a permis de créer un lien avec les espèces protégées et de renforcer la coopération et la protection, car celle-ci se sentait véritablement responsable des animaux et des sites qu’elle devait préserver. »

– Steven Kell, biologiste expert en espèces en péril et coordonnateur de projet, Première Nation Shawanaga

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